jeudi 28 juillet 2011

Londres-Le Caire: peut mieux faire

En 2010, la Grande-Bretagne a lâché à l'Egypte pas moins de 25 000 objets d'antiquité, parmi lesquelles une hache de pierre vieille de 200 000 ans et quantité de pièces pré-pharaoniques qui seront exposées dans un musée en construction à Dakla, dans une oasis de l'Ouest Egyptien. C'est un beau geste. Mais rappelons que la Grande-Bretagne détient la plus grosse collection d'antiquités égyptiennes en exil, dont la pierre de Rosette qui a permis de percer le secret de hiéroglyphes. 


Casseurs de vitrines: un bon exemple!

Plusieurs musées belges, allemands et britanniques ont accepté de casser leurs vitrines pour restituer des objets au Musée National d'Archéologie d'Athènes: offrandes funéraires, céramiques, objets en cuivre, pièces de monnaie, fragments de poterie retrouvent peu à peu leur patrie. C'est encourageant.


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samedi 23 juillet 2011

BRAVO JACK!


Jack Lang enfonce le clou dans un entretien donné au "Monde" le 21 juillet 2011: "La question des restitutions ne peut rester éternellement taboue". Tout à fait d'accord. L'affaire des manuscrits coréens, déjà évoquée dans ce blog, semble trouver une conclusion heureuse, même si elle fait grincer quelques dents. Le bras de fer entre la France et la Corée remonte quand même à 1986, lorsque le gouvernement coréen ose  réclamer des manuscrits de la dynastie Choseon piqués par la marine française en 1866. Jack Lang, alors Ministre de la Culture de François Mitterrand, plaide en faveur de la restitution. Un premier manuscrit sera d'ailleurs rendu en 1993 par François Mitterrand.
Ces manuscrits si précieux étaient-ils exposés dans un musée hexagonal? Que nenni! Figurez-vous qu'ils étaient cachés à la Bibliothèque Nationale, tellement bien cachés qu'on les avait classés avec des archives chinoises! C'est par le plus grand des hasards qu'une chercheuse coréenne a découvert ce petit trésor national que son pays croyait perdu à jamais. Imaginez la joie de ses compatriotes! Mais voilà: le public coréen a dû patienter encore 25 ans avant de pouvoir admirer les 297 manuscrits, exposés pour la première fois au Musée National de Séoul depuis le 19 juillet 2011. Pourquoi? L'instinct de propriété est une seconde nature pour de nombreux Conservateurs et autres responsables du patrimoine. Il a fallu batailler ferme pour résoudre les problèmes juridiques. Finalement, la France a eu recours à un artifice pour lâcher les manuscrits qui ne sont pas restitués, mais "prêtés" pour cinq ans, par bail renouvelable! Au bout du compte, la France n'a toujours pas accepté de reconnaître que les manuscrits sont la propriété légitime de la Corée! Et c'est extrêmement choquant.

vendredi 22 juillet 2011

ILS ONT RENDU L'OBELISQUE!

Le remord de l'Italie pesait 150 tonnes. C'est en 1937 que les troupes de Mussolini se sont emparées de l'obélisque d'Axoum, stèle funéraire géante en granit, érigée au IVe s. par le royaume éponyme dont l'influence s'étendit sur le Nord-Est de l'Ethiopie jusqu'au XIIIe s. Elle fut mise en place à Rome, devant le ministère des Colonies, en arrogant symbole de l'hégémonie italienne. Ulcérés, les Ethiopiens n'ont cessé de réclamer le retour de leur obélisque depuis la fin de la guerre. Bien que prévu par les accords d'armistice de 1947, il faudra attendre 2005 pour que ce retour soit accepté par le gouvernement italien. La décision de l'UNESCO de classer l'obélisque au patrimoine mondial aura été déterminante. Ce n'est qu'en 2008 que ce monument emblématique de l'histoire préchrétienne d'Axoum et de l'identité éthiopienne a retrouvé sa place sur son lieu d'origine. La restauration de l'obélisque a été assurée conjointement par le gouvernement italien et par l'UNESCO. Bravo!


Photo: pictures.traveladventures.org

Ramsès: le retour


Il se peut que l'information vous ait échappée en 2006, puisqu'aucun organe de presse n'a titré: "Ramsès I est de retour!" Le musée Michael Carlos d'Atlanta a fait un beau geste en restituant gracieusement à l'Egypte la momie qui lui avait coûté, en 2003, la modique somme de 2 millions de dollars. Ce retour au pays marque la fin des multiples aventures de la momie de Ramsès I, grand père du célèbre Ramsès II: trouvée près de Louxor par un paysan à la fin du XIXe. Lequel paysan la vend pour quelques piécettes à un commerçant de passage. Lequel commerçant, pas fou, la vend à des Américains en 1871 pour quelques dollars de plus. Lesquels Américains ne l'exposent pas dans leur salon mais dans des musées.  La momie se morfondra successivement au Canada, dans l'état de New-York et à Atlanta, avant de retrouver les siens. Ramsès l aura davantage voyagé mort que vivant et ses mânes vont jouir d'un repos mérité au musée de Louxor.

samedi 9 juillet 2011

LES ELEPHANTS S'EN MELENT


Même les éléphants ont manifesté en 2005 devant l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok, agitant leurs trompes avec courroux tandis que leurs cornacs brandissaient des pancartes outragées : « Return the crown ! » Bien vite oubliée, cette manifestation insolite illustre une fois de plus un conflit planétaire entre receleurs d’œuvres d’art pillées ou achetées dans des conditions douteuses, et militants soucieux de sauvegarder l’intégrité de leur patrimoine artistique national.


Pour la petite histoire, un rappel des faits : à la faveur d’une exposition au Musée d’Art Asiatique de San Francisco, les Thaïlandais découvrent l’existence d’une couronne provenant d’Ayutthaya, l’ancienne capitale vandalisée par les Birmans en 1767. Comment cette couronne est-elle arrivée à San Francisco, avec 89 autres objets de la même provenance ? Il y aurait de quoi occuper quelques fins limiers d’Interpol pour répondre à cette intéressante question. La couronne, quant à elle, provient d’une « collection privée ». Merci quand même au collectionneur d'avoir bien voulu exhiber son trésor devant le public de San Francisco. Tant pis pour les visiteurs du Musée National d’Ayutthaya et de son remarquable Centre d’Etudes Historique, lequel déploie dans une muséographie dernier cri, de splendides et rares objets rescapés du sac de l’ancienne capitale. Les Thaïlandais devront aller à San Francisco pour admirer les objets créés par leurs ancêtres. Avec moult précautions, le gouvernement thaïlandais à engagé des discussions avec les Etats-Unis qui l’ont charitablement prévenu : il devra faire la preuve de ses droits légitimes sur la couronne d’Ayutthaya. Il y a sûrement pléthore d’avocats américains prêts à prouver qu’il s’agit d’un bien américain inaliénable.



Mais l’expérience a montré qu’il ne faut pas se décourager. En 1988, la Thaïlande a récupéré un linteau provenant du temple khmer de Phnom Rung (dans le Buriram) qui avait été volé en 1965, à l’époque troublée de la guerre du Vietnam. Un linteau en grès, cela ne se glisse pas dans la poche. C’est grâce à une chaîne de vendeurs et d’acheteurs égoïstes et sans scrupules que le fameux linteau a fini par arriver à l’Institut d’Art de Chicago où il a été identifié par le Département des Beaux-Arts thaïlandais en 1973. Il aura fallu 15 années de discussions procédurières harassantes, de négociations humiliantes pour que le linteau revienne s’ajuster à la partie brisée laissée en place par les vandales.


© Photos christine le Diraison

Des conservateurs très... conservateurs

Il est surprenant et choquant de constater que beaucoup de conservateurs de musée perdent de vue leur raison d’être qui est de préserver, de garder en l’état les objets qui leur sont confiés. Au lieu de s’en tenir à la nature de leur fonction, ils s’investissent propriétaires des collections dont ils sont dépositaires et malheur aux pays qui revendiqueront la restitution d’une partie de leur patrimoine culturel. L’ancien Président de la République François Mitterrand en a fait l’expérience à ses dépens, ayant imprudemment promis à l’état Coréen (Séoul) la restitution d'archives royales que la Marine Française avait accaparées en 1866 et qui reposaient placidement depuis lors à la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu à Paris. Notez bien qu’il ne s’agissait pas d’un cadeau des Coréens aux Français, mais d’une « punition » infligée par eux en représailles de l'assassinat de missionnaires catholiques dont la prolifération déplaisait aux Coréens. Toujours est-il que le Président Mitterrand eut la plus grande difficulté à respecter sa promesse, face à l’opposition vigoureuse de la conservatrice des fameux manuscrits et qu’il dû se montrer intraitable à son égard pour sauver la face et l’honneur de la France. 

J’admets volontiers qu’un sujet aussi sensible mérite réflexion. Il ne s’agit pas de réclamer que toutes les œuvres d’art soient rapatriées dans leur pays d’origine. Notre bon sens nous commande de faire la distinction entre les œuvres personnelles, redevables du génie particulier de leur créateur, et les œuvres collectives qui reflètent la culture profonde et unique d’un pays, d’une civilisation, d’un groupe humain. Loin de moi l’idée de renvoyer tous les Picasso en Espagne, tous les Monet en France, tous les Mudares en Syrie. L’artiste qui s’exprime par lui-même libère du même coup ses œuvres de toute attache territoriale. Il n’en est pas de même des œuvres qui appartiennent au patrimoine d’une nation, qui constituent ses fondements historiques et artistiques, sa mémoire, le lien inaliénable avec son passé. Quel droit ont les Britanniques de conserver au British Museum les fresques du Parthénon, inlassablement réclamées par la Grèce qui fait partie de l’Union Européenne ? Quelle filiation peuvent-ils revendiquer en s’appropriant des œuvres qui appartiennent à un pays libre, mature, reconnu comme le berceau de la civilisation de l’Europe ? 

Force 5 sur l’échelle du Scandale

L’argument de la préservation est abondamment utilisé par les responsables de la conservation des pays occidentaux, soutenus par une grande partie de l’opinion publique : « Si nous n’avions pas gardé bien en sécurité au Musée Guimet toutes les œuvres khmères que nous y détenons, elles auraient été détruites ou vandalisées par les Khmers Rouges ». Certes. Le monde entier (le monde « civilisé ») a réagi avec colère lors de la destruction des Bouddha de Bamyan par les Talibans en 2001. On remarquera, au passage, que la conservation des objets d’art semble davantage préoccuper la communauté internationale que celle des peuples opprimés ou décimés. Il faudrait instaurer une « échelle du Scandale» qui, telle l’échelle de Richter en matière de séisme, mesurerait et comparerait l’amplitude des protestations internationales face aux drames de la planète : génocides, guerres civiles, destructions d’œuvres d’art… On serait sûrement surpris et peut-être même honteux de ce qu’elle nous révélerait.

Oui, le fait de détenir des œuvres inscrites au Patrimoine Mondial dans les musées occidentaux a permis, permet encore, d’empêcher destructions, vols, déprédations. Oui, exhiber ces œuvres devant un public nombreux, éduqué, sinon cultivé, confère une notoriété indéniable à ces cultures. Mais il est temps de se pencher sur l’héritage colonial ou tout simplement paternaliste de l’Occident pour y exercer son esprit critique. Il est temps d’accepter l’idée que nous ne sommes que les dépositaires de ces œuvres collectives -- frises du Parthénon, statuaire khmère pour ne citer que ces deux exemples – qui sont destinées à rentrer un jour ou l’autre dans leur pays d’origine. Il est temps d’admettre avec modestie que nous ne sommes pas, nous occidentaux, investis de tous les pouvoirs pour garder égoïstement les trésors inestimables de peuples jugés irresponsables et infantiles. « Il faut oser ou se résigner à tout » disait Tite-Live. Alors osons rendre à César ce qui lui appartient, en espérant que le XXIe siècle nous le revaudra.


Voir aussi sur ce sujet Le Monde Diplomatique de Janvier 2005,
« Enquête sur le pillage des objets d’art ». (Cliquer sur le titre de cet article pour le lien).

vendredi 8 juillet 2011

SAUVONS HARIHARA !

© Montage photo Christine Routier le Diraison

Harihara n’a plus sa tête. Je me trouve dans le Musée National de Phnom Penh devant sa statue décapitée et j’en suis fort dépitée. Cette représentation du dieu Harihara, moitié Vishnu (Hari), moitié Shiva (Hara), a été taillée dans le grès au VIe siècle. Quelle expression lui a-t-on donné ? Etait-il sévère ou bienveillant ? Mon regard est attiré par une photocopie collée sur le mur où je reconnais une tête dont la coiffe se sépare en deux parties, l’une figurant une demi-tiare cylindrique, l’autre un chignon tressé. Malgré la mauvaise qualité de la photo, on voit tout de suite qu’il s’agit d’une pièce exceptionnelle. « La tête de Harihara se trouve au Musée Guimet » annonce laconiquement l’affichette, information que je m’empresse de vérifier peu de temps après à Paris. 

En effet, impossible de la manquer : elle est exposée sur une stèle haute, au rez-de-chaussée et c’est une des premières pièces qui attire le regard en pénétrant dans les salles d’art khmer de Guimet. Malgré la datation moins affirmative que celle du musée de Phnom Penh ( VIIe siècle avec point d’interrogation, au lieu de VIe siècle), il n’y a pas d’erreur possible : un des chefs d’œuvre de l’art khmer est coupé en deux morceaux parfaitement localisés, parfaitement identifiés. Le commentaire extrêmement minimaliste du Musée Guimet (qui croit recruter son public exclusivement parmi une élite intellectuelle parisienne qui a déjà visité douze fois Angkor Vat) se garde de mentionner que le corps se trouve au Musée National de Phnom Penh. Et j’imagine qu’une photo ferait vulgaire, puisque je n’en vois aucune, pas même d’Angkor. En retournant par la suite au Musée National de Phnom Penh, j’examinerai le raccord de la chevelure apparaissant sur l’épaule droite du corps décapité de Harihara et je n’aurai qu’à fermer les yeux pour imaginer la tête exposée au Musée Guimet s’ajustant parfaitement sur le corps du Musée de Phnom Penh. 

La question mérite d’être posée : qui a peur de Harihara ? Pourquoi les plus grands admirateurs et spécialistes de l’art khmer ne font pas le geste qui s’impose de renvoyer la tête de Harihara sur son corps à Phnom Penh ? Craignent-ils de se voir réclamer toutes les pièces que la France coloniale et post coloniale s’est appropriée ? C’est à Etienne Aymonier, un des « explorateurs d’Angkor » dans les années 1880, que le Musée Guimet est redevable de la tête d’Harihara qui figure dans ses collections depuis 1890. Cet officier de marine, épigraphe, Résident Général du Protectorat français ne voyageait pas léger et fut un des bienfaiteurs du Musée Guimet qu’il alimenta copieusement en art khmer. 

Si les Français ont sorti de très nombreuses pièces du Cambodge, ils ont également effectué un travail considérable d’identification, d’inventaire, de maintenance, de conservation et nous nous garderons bien de minimiser leurs mérites. Fondé par Georges Groslier en 1918, le Musée de Phnom Penh est resté français jusqu’en 1951, date où la direction de la section archéologique est revenue aux Cambodgiens. Les relations entre le Musée National de Phnom Penh et la France sont restées très étroites, notamment par le biais de l’Ecole Française d’Extrême-Orient qui a édité le catalogue de ses collections en 2001. 

Je m’adresse donc à ces grands esprits soucieux de dénouer les fils des civilisations disparues, à ces archéologues avides de vérité, à ces amateurs d’art subjugués par le sourire khmer pour leur dire : le moment est venu de vous unir pour renvoyer la tête d’Harihara à Phnom Penh, dans son pays d’origine, où son corps l’attend depuis 115 ans.