vendredi 8 juillet 2011

SAUVONS HARIHARA !

© Montage photo Christine Routier le Diraison

Harihara n’a plus sa tête. Je me trouve dans le Musée National de Phnom Penh devant sa statue décapitée et j’en suis fort dépitée. Cette représentation du dieu Harihara, moitié Vishnu (Hari), moitié Shiva (Hara), a été taillée dans le grès au VIe siècle. Quelle expression lui a-t-on donné ? Etait-il sévère ou bienveillant ? Mon regard est attiré par une photocopie collée sur le mur où je reconnais une tête dont la coiffe se sépare en deux parties, l’une figurant une demi-tiare cylindrique, l’autre un chignon tressé. Malgré la mauvaise qualité de la photo, on voit tout de suite qu’il s’agit d’une pièce exceptionnelle. « La tête de Harihara se trouve au Musée Guimet » annonce laconiquement l’affichette, information que je m’empresse de vérifier peu de temps après à Paris. 

En effet, impossible de la manquer : elle est exposée sur une stèle haute, au rez-de-chaussée et c’est une des premières pièces qui attire le regard en pénétrant dans les salles d’art khmer de Guimet. Malgré la datation moins affirmative que celle du musée de Phnom Penh ( VIIe siècle avec point d’interrogation, au lieu de VIe siècle), il n’y a pas d’erreur possible : un des chefs d’œuvre de l’art khmer est coupé en deux morceaux parfaitement localisés, parfaitement identifiés. Le commentaire extrêmement minimaliste du Musée Guimet (qui croit recruter son public exclusivement parmi une élite intellectuelle parisienne qui a déjà visité douze fois Angkor Vat) se garde de mentionner que le corps se trouve au Musée National de Phnom Penh. Et j’imagine qu’une photo ferait vulgaire, puisque je n’en vois aucune, pas même d’Angkor. En retournant par la suite au Musée National de Phnom Penh, j’examinerai le raccord de la chevelure apparaissant sur l’épaule droite du corps décapité de Harihara et je n’aurai qu’à fermer les yeux pour imaginer la tête exposée au Musée Guimet s’ajustant parfaitement sur le corps du Musée de Phnom Penh. 

La question mérite d’être posée : qui a peur de Harihara ? Pourquoi les plus grands admirateurs et spécialistes de l’art khmer ne font pas le geste qui s’impose de renvoyer la tête de Harihara sur son corps à Phnom Penh ? Craignent-ils de se voir réclamer toutes les pièces que la France coloniale et post coloniale s’est appropriée ? C’est à Etienne Aymonier, un des « explorateurs d’Angkor » dans les années 1880, que le Musée Guimet est redevable de la tête d’Harihara qui figure dans ses collections depuis 1890. Cet officier de marine, épigraphe, Résident Général du Protectorat français ne voyageait pas léger et fut un des bienfaiteurs du Musée Guimet qu’il alimenta copieusement en art khmer. 

Si les Français ont sorti de très nombreuses pièces du Cambodge, ils ont également effectué un travail considérable d’identification, d’inventaire, de maintenance, de conservation et nous nous garderons bien de minimiser leurs mérites. Fondé par Georges Groslier en 1918, le Musée de Phnom Penh est resté français jusqu’en 1951, date où la direction de la section archéologique est revenue aux Cambodgiens. Les relations entre le Musée National de Phnom Penh et la France sont restées très étroites, notamment par le biais de l’Ecole Française d’Extrême-Orient qui a édité le catalogue de ses collections en 2001. 

Je m’adresse donc à ces grands esprits soucieux de dénouer les fils des civilisations disparues, à ces archéologues avides de vérité, à ces amateurs d’art subjugués par le sourire khmer pour leur dire : le moment est venu de vous unir pour renvoyer la tête d’Harihara à Phnom Penh, dans son pays d’origine, où son corps l’attend depuis 115 ans.

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