samedi 9 juillet 2011

Des conservateurs très... conservateurs

Il est surprenant et choquant de constater que beaucoup de conservateurs de musée perdent de vue leur raison d’être qui est de préserver, de garder en l’état les objets qui leur sont confiés. Au lieu de s’en tenir à la nature de leur fonction, ils s’investissent propriétaires des collections dont ils sont dépositaires et malheur aux pays qui revendiqueront la restitution d’une partie de leur patrimoine culturel. L’ancien Président de la République François Mitterrand en a fait l’expérience à ses dépens, ayant imprudemment promis à l’état Coréen (Séoul) la restitution d'archives royales que la Marine Française avait accaparées en 1866 et qui reposaient placidement depuis lors à la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu à Paris. Notez bien qu’il ne s’agissait pas d’un cadeau des Coréens aux Français, mais d’une « punition » infligée par eux en représailles de l'assassinat de missionnaires catholiques dont la prolifération déplaisait aux Coréens. Toujours est-il que le Président Mitterrand eut la plus grande difficulté à respecter sa promesse, face à l’opposition vigoureuse de la conservatrice des fameux manuscrits et qu’il dû se montrer intraitable à son égard pour sauver la face et l’honneur de la France. 

J’admets volontiers qu’un sujet aussi sensible mérite réflexion. Il ne s’agit pas de réclamer que toutes les œuvres d’art soient rapatriées dans leur pays d’origine. Notre bon sens nous commande de faire la distinction entre les œuvres personnelles, redevables du génie particulier de leur créateur, et les œuvres collectives qui reflètent la culture profonde et unique d’un pays, d’une civilisation, d’un groupe humain. Loin de moi l’idée de renvoyer tous les Picasso en Espagne, tous les Monet en France, tous les Mudares en Syrie. L’artiste qui s’exprime par lui-même libère du même coup ses œuvres de toute attache territoriale. Il n’en est pas de même des œuvres qui appartiennent au patrimoine d’une nation, qui constituent ses fondements historiques et artistiques, sa mémoire, le lien inaliénable avec son passé. Quel droit ont les Britanniques de conserver au British Museum les fresques du Parthénon, inlassablement réclamées par la Grèce qui fait partie de l’Union Européenne ? Quelle filiation peuvent-ils revendiquer en s’appropriant des œuvres qui appartiennent à un pays libre, mature, reconnu comme le berceau de la civilisation de l’Europe ? 

Force 5 sur l’échelle du Scandale

L’argument de la préservation est abondamment utilisé par les responsables de la conservation des pays occidentaux, soutenus par une grande partie de l’opinion publique : « Si nous n’avions pas gardé bien en sécurité au Musée Guimet toutes les œuvres khmères que nous y détenons, elles auraient été détruites ou vandalisées par les Khmers Rouges ». Certes. Le monde entier (le monde « civilisé ») a réagi avec colère lors de la destruction des Bouddha de Bamyan par les Talibans en 2001. On remarquera, au passage, que la conservation des objets d’art semble davantage préoccuper la communauté internationale que celle des peuples opprimés ou décimés. Il faudrait instaurer une « échelle du Scandale» qui, telle l’échelle de Richter en matière de séisme, mesurerait et comparerait l’amplitude des protestations internationales face aux drames de la planète : génocides, guerres civiles, destructions d’œuvres d’art… On serait sûrement surpris et peut-être même honteux de ce qu’elle nous révélerait.

Oui, le fait de détenir des œuvres inscrites au Patrimoine Mondial dans les musées occidentaux a permis, permet encore, d’empêcher destructions, vols, déprédations. Oui, exhiber ces œuvres devant un public nombreux, éduqué, sinon cultivé, confère une notoriété indéniable à ces cultures. Mais il est temps de se pencher sur l’héritage colonial ou tout simplement paternaliste de l’Occident pour y exercer son esprit critique. Il est temps d’accepter l’idée que nous ne sommes que les dépositaires de ces œuvres collectives -- frises du Parthénon, statuaire khmère pour ne citer que ces deux exemples – qui sont destinées à rentrer un jour ou l’autre dans leur pays d’origine. Il est temps d’admettre avec modestie que nous ne sommes pas, nous occidentaux, investis de tous les pouvoirs pour garder égoïstement les trésors inestimables de peuples jugés irresponsables et infantiles. « Il faut oser ou se résigner à tout » disait Tite-Live. Alors osons rendre à César ce qui lui appartient, en espérant que le XXIe siècle nous le revaudra.


Voir aussi sur ce sujet Le Monde Diplomatique de Janvier 2005,
« Enquête sur le pillage des objets d’art ». (Cliquer sur le titre de cet article pour le lien).

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